Fiche technique d’Antsirabe
Situation géographique : sur les Hauts Plateaux de Madagascar, à 169 km de TananarivePremières impressions
Nom : le nom de Tsirabe date de 1868 et signifie « là où il y a beaucoup de sel ». Il fut donné par des missionnaires norvégiens et c’est le missionnaire TG Rosaas qui fonde véritablement la ville en 1872, encore aujourd’hui jumelée avec une ville norvégienne.
Habitants : environ 195 000
Économie : ancienne ville thermale, aujourd’hui un centre industriel (cotonnade, bière), agriculture (riz, manioc, etc.), des mines de pierres précieuses, semi précieuses et des minéraux
Histoire : autrefois une ville très prisée par les colons pour son climat privilégié, ses thermes avec son eau salée bienfaisante et ses lacs
Aujourd’hui : Antsirabe recèle des beaux restes de l’architecture coloniale avec l’hôtel des Thermes et de larges avenues bordées par de riches villas. On y négocie pierres précieuses et minéraux. Au-delà du centre ville, c’est la ville malgache, celle qui grouille de gens, de bruits, d’odeurs. Des taudis, des maisons superbes caractéristiques des Hauts Plateaux – brique rouge, balcon et colonnes -, des enfants en haillons qui jouent dans les égouts, des sourires éclatants, des marchés, des échoppes sur les trottoirs, des gargotes… et des pousse-pousse.
Petit tour dans l’univers des pousse
Bienvenue à Antsirabe, la ville des pousse-pousse, ces moyens
de locomotion qui dateraient de l’arrivée des Chinois à Madagascar,
venus pour la construction de la ligne de chemin de fer au début
du vingtième siècle. Pour le sociologue et chanteur (du groupe
Mahaleo), Bekoto, « 60% des tireurs viennent de l'Est de la région
et 4000 tireurs ont été recensés en 1994. Certains
supposent, pourquoi pas, que ce métier est le prolongement historique
du "filanjana" ou transport par portage des rois et nobles durant la monarchie.
Ce qui aboutit à la vision de "société de castes"
: la ville se laisserait ainsi porter sur le dos du village comme au temps
de la féodalité esclavagiste malgache. »
Aujourd’hui, ce sont des malgaches jeunes ou vieux, en haillons et
nus pieds, qui courent en tirant des pousse-pousse décorés
de peintures plus ou moins pimpantes. Bekoto : « Les tireurs ont
une culture à part : musiciens, artistes, cultes ésotériques
et superstitions...
Le plus jeune a 15 ans, le plus vieux 82 ans. »
Et ils sont partout ces pousse. Massés aux gares de taxi-be,
immobiles à l’entrée des hôtels, endormis devant la
sortie des écoles, alanguis devant l’hôpital, discutant autour
du petit et du grand marché, trottinant, rigolards, derrière
des vazahas excédés, stationnés sous les jacarandas
avenue de l’Indépendance, arrêtés à quelque
carrefour stratégique…
Environ 2% seulement de ces tireurs possède son propre véhicule.
Les pousse appartiennent en grande majorité à des propriétaires
- environ une cinquantaine - qui peuvent en posséder jusqu’à
200 pour le plus gros propriétaire d’Antsirabe. Les tireurs leur
louent un pousse à la journée. Il est difficile de savoir
à combien s’élève une location, car elle dépend
de la beauté et de l’état du pousse et pourrait atteindre
de 2500 FMG à 7500 FMG par jour (soit 2,50 à 7,50 francs
français).
Les tireurs s’occupent de l’entretien du véhicule et il n’est
pas rare d’en voir un laver son pousse à la fontaine devant l’hôtel
des Thermes.
Bekoto explique que « plus de 3000 sont détenteurs de
permis pousse. En moyenne 1750 tireurs sont en ville, mais ils peuvent
être plus nombreux en période de soudure (octobre - mars)
période où le travail de la terre exige de l'argent (semence,
engrais...). »
Car ces tireurs sont aussi des paysans et le phénomène
de migration a été observé par le sociologue : «
venir en ville pour l'argent liquide et revenir au village pour s'investir
(cultures, petit élevage, fêtes traditionnelles ...). Économiquement,
5 millions FF/an sont drainés par cette filière qui implique
le tireur lui-même, le menuisier, le constructeur, le propriétaire,
les usagers, l'administration... »
On a affaire ici à un important secteur économique. «
Ce mode de transport, dit encore Bekoto, convient à la ville (Antsirabe)
qui est dans l'ensemble relativement plate et qui a un secteur informel
dynamique composé de micro-entreprises réunissant 164 métiers
différents, regroupant 4 000 employés et représentant
pour "l'économie souterraine" 25 000 000 FF/an de chiffre d'affaire.
»
Comment on devient tireur de pousse-pousse
Et ils continuent de tirer… Ils sont ainsi 3 317 pousse-pousse officiellement
recensés pas la mairie mais on estime qu’avec la fraude, ils y aurait
environ 3 500 pousse dans la ville d’Antsirabe. Depuis janvier 1999, la
municipalité limite le nombre de pousse en interdisant toute nouvelle
immatriculation. Car tous les pousse sont immatriculés et identifiés
selon des règles très strictes. Sur le pousse doit figurer
le nom (ou surnom) du propriétaire et une plaque comportant le numéro
d’inscription au registre de la mairie, ce numéro comprenant 3 chiffres
suivis de 2 lettres.
Un tireur doit avoir au minimum 18 ans pour pouvoir tirer mais cela
ne suffit pas. Il faut encore qu’il possède une carte grise et un
« permis de tirer » délivré par la mairie. Pour
obtenir et conserver ce permis, il passe tous les ans une visite médicale.
Ce permis a un prix que la mairie n’a pas voulu communiquer mais qui est
payé par le propriétaire des pousse. Par ailleurs, tous les
ans, les pousse doivent passer aux services techniques de la commune qui
vérifie les suspensions, l’état des pneus et la propreté
des véhicules.
A l’origine, les tireurs de pousse sont des paysans. Les colons qui
avaient besoin de main d’œuvre venaient chercher des malgaches dans les
champs. Aujourd’hui, les choses ont changé car ces tireurs sont
d’abord des citadins et de moins en moins des paysans venant faire tireur
à la ville à la saison morte dans les champs. Cette situation
peut s’expliquer d’abord parce qu’un tireur gagnent plus en tirant un pousse
qu’en travaillant aux champs. Mais il y a aussi le problème des
paysans sans terre, ceux dont les champs ont été rachetés
par de plus puissantes entreprises. Ces paysans dépossédés
sont partis à la ville, en emmenant leur famille avec eux. La situation
s’est développée anarchiquement, rien n’ayant été
prévu pour les recevoir à Antsirabe. Ce problème est
évoqué par le groupe de musique Mahaleo, qui soutient la
cause des tireurs de pousse, qui ne bénéficient d’aucune
sécurité.
Le pousse : une capacité de transport ahurissante
Et les tireurs continuent de tirer… Et tout le monde utilise le pousse-pousse
pour se déplacer dans la ville, de jour comme de nuit, le matin
tôt pour partir à l’école ou au travail, le soir pour
aller en boîte ou boire un verre.
Le pousse est aussi utilisé pour transporter des marchandises
avec son propriétaire en même temps bien sûr, ce qui
peut donner des chargement incroyables.
Pour Claude Rakoto « La capacité de ce moyen de
transport est ahurissante. Certains pousse-pousse transportent parfois
plus de 20 sacs de 75 kilogrammes, soit entre 1,5 et 2 tonnes. Le coût
de transport est de 3 à 5 fois moindre par rapport aux camionnettes.
Quant à la réglementation, si la législation en vigueur
interdit l'accès de ce genre de voitures dans le centre urbain,
la police est plus tolérante. Par humanisme. Car ces tireurs de
pousse-pousse assurent leur survie dans ce travail. Le leur interdire serait
leur ôter le pain de la bouche. »
Contre
Ils tirent, tirent…
Mais certains refusent d’utiliser ce mode de transport qui rappelle
trop les temps avilissants de la colonisation, comme ce couple de Belges
responsable de l’association Maison Internationale créée
à Bruxelles en 1970 et implantée à Antsirabe. Nicolas
: « En 1948, je me souviens, on a interdit en Belgique la traction
par les animaux familiers. Le chien n’avait plus le droit de tirer la charrette
à lait. Et j’arrive à Mada. Je vois des hommes en haillons
qui tirent. Et un très petit nombre de propriétaire. (…)
Tous les Malgaches ne sont pas pour les pousse. A Betafo , la mairie
a quand même interdit le pousse-pousse. Le tireur de pousse est méprisé
par les Malgaches qui considèrent que c’est un sous-métier.
Les tireurs sont souvent des paysans qui viennent tirer lorsque c’est
la saison morte dans leurs champs. Des tireurs de pousse peuvent cumuler
jusqu’à 3 ou 4 métiers, et de plus en plus dégradants.
Pousse, c’est un métier où il faut le moins réfléchir
car si tu réfléchis, tu as honte de toi, toi Malgache. C’est
sûr, ils vivent « correctement » même s’il faut
payer la location du pousse au propriétaire. Mais c’est un abaissement
moral terrible ! Ici ils sont haillons !Il y a quand même un sentiment
de honte. Et de plus en plus de vieux tirent.
Avec un peu d’imagination, le pousse-pousse n’existe plus. Il faut
bien sûr recaser ces gens. Et si on faisait tirer les hommes par
des animaux ? J’en ai parlé à la maison Wolswagen qui m’a
répondu que si on arrivait à introduire un Tilbury à
Mada, elle nous offrirait le premier. On pourrait imaginer de faire un
élevage de poneys, il faudrait faire le ramassage des crottes… il
y a moyen de recaser les gens. On réorganise la ville en faisant
des ceintures pour empêcher les camions de traverser la ville par
exemple. Cette idée n’a jamais eu de suite. J’ai abandonné.
En fait, la municipalité remplace peu à peu les pousse-pousse
par des minibus qui coûtent 500 FMG (50 centimes) au lieu de 1000
FMG pour un pousse. Ces minibus concurrencent ainsi directement les pousse.
Mais les minibus sont la menace de demain tellement ils sont polluants.
Il y en a qui changent de métier. Un gars vient ici, Théo
il s’appelle, pour apprendre à taper à la machine. C’est
un ancien tireur de pousse qui s’est reconverti dans la location de vélo.
»
Claude Rakoto ajoute : « Mais à les voir en besogne, c'est
là qu'on se rend compte du paradoxe du concept du droit de l'homme
dans un pays comme Madagascar. Car entre les bœufs de minuit et les tireurs
de charrette de la ville, les premiers travaillent dans des conditions,
de loin, plus humaines. »
La course de pousse-pousse |
Voir aussi un article de Bekoto sur la question (Université de la Réunion : http://www.univ-reunion.fr/)