pousse pousse à Antsirabe« Pousse ! »pousse pousse à Antsirabe
Embarquement en pousse-pousse pour Antsirabe,
ville malgache aux 3317 pousse-pousse officiellement recensés pas la mairie
et aux 200 autres fraudeurs probables.



Fiche technique d’Antsirabe

Situation géographique : sur les Hauts Plateaux de Madagascar, à 169 km de Tananarive
Nom : le nom de Tsirabe date de 1868 et signifie « là où il y a beaucoup de sel ». Il fut donné par des missionnaires norvégiens et c’est le missionnaire TG Rosaas qui fonde véritablement la ville en 1872, encore aujourd’hui jumelée avec une ville norvégienne.
Habitants : environ 195 000
Économie : ancienne ville thermale, aujourd’hui un centre industriel (cotonnade, bière), agriculture (riz, manioc, etc.), des mines de pierres précieuses, semi précieuses et des minéraux
Histoire : autrefois une ville très prisée par les colons pour son climat privilégié, ses thermes avec son eau salée bienfaisante et ses lacs
Aujourd’hui : Antsirabe recèle des beaux restes de l’architecture coloniale avec l’hôtel des Thermes et de larges avenues bordées par de riches villas. On y négocie pierres précieuses et minéraux. Au-delà du centre ville, c’est la ville malgache, celle qui grouille de gens, de bruits, d’odeurs. Des taudis, des maisons superbes caractéristiques des Hauts Plateaux – brique rouge, balcon et colonnes -, des enfants en haillons qui jouent dans les égouts, des sourires éclatants, des marchés, des échoppes sur les trottoirs, des gargotes… et des pousse-pousse.
Premières impressions
Et les tireurs tirent…
Il est très tôt, et un vieil homme en haillons tire une petite fille en uniforme qui part à l’école. Il est suivi par un pousse-pousse chargé de 5 bambins et leur maman. Un autre pousse passe dans lequel sont entassés 6 écoliers, dont 3 debout derrière, leur tête complètement tordue contre la capote du pousse.
Un jeune garçon tire une dame et ses trois bouteilles de gaz. Un garçon à lunettes cerclées de fer et mallette en cuir passe dans un pousse rouge et jaune. L’homme qui le tire doit avoir dans les soixante ans. Il n’a plus de dents et ses pieds nus trottinent sur la route défoncée.

Petit tour dans l’univers des pousse
Bienvenue à Antsirabe, la ville des pousse-pousse, ces moyens de locomotion qui dateraient de l’arrivée des Chinois à Madagascar, venus pour la construction de la ligne de chemin de fer au début du vingtième siècle. Pour le sociologue et chanteur (du groupe Mahaleo), Bekoto, « 60% des tireurs viennent de l'Est de la région et 4000 tireurs ont été recensés en 1994. Certains supposent, pourquoi pas, que ce métier est le prolongement historique du "filanjana" ou transport par portage des rois et nobles durant la monarchie. Ce qui aboutit à la vision de "société de castes" : la ville se laisserait ainsi porter sur le dos du village comme au temps de la féodalité esclavagiste malgache. »
Aujourd’hui, ce sont des malgaches jeunes ou vieux, en haillons et nus pieds, qui courent en tirant des pousse-pousse décorés de peintures plus ou moins pimpantes. Bekoto : « Les tireurs ont une culture à part : musiciens, artistes, cultes ésotériques et superstitions...
Le plus jeune a 15 ans, le plus vieux 82 ans. »
Et ils sont partout ces pousse. Massés aux gares de taxi-be, immobiles à l’entrée des hôtels, endormis devant la sortie des écoles, alanguis devant l’hôpital, discutant autour du petit et du grand marché, trottinant, rigolards, derrière des vazahas  excédés, stationnés sous les jacarandas avenue de l’Indépendance, arrêtés à quelque carrefour stratégique…

Environ 2% seulement de ces tireurs possède son propre véhicule. Les pousse appartiennent en grande majorité à des propriétaires - environ une cinquantaine - qui peuvent en posséder jusqu’à 200 pour le plus gros propriétaire d’Antsirabe. Les tireurs leur louent un pousse à la journée. Il est difficile de savoir à combien s’élève une location, car elle dépend de la beauté et de l’état du pousse et pourrait atteindre de 2500 FMG à 7500 FMG par jour (soit 2,50 à 7,50 francs français).
Les tireurs s’occupent de l’entretien du véhicule et il n’est pas rare d’en voir un laver son pousse à la fontaine devant l’hôtel des Thermes.
Bekoto explique que « plus de 3000 sont détenteurs de permis pousse. En moyenne 1750 tireurs sont en ville, mais ils peuvent être plus nombreux en période de soudure (octobre - mars) période où le travail de la terre exige de l'argent (semence, engrais...). »
Car ces tireurs sont aussi des paysans et le phénomène de migration a été observé par le sociologue : « venir en ville pour l'argent liquide et revenir au village pour s'investir (cultures, petit élevage, fêtes traditionnelles ...). Économiquement, 5 millions FF/an sont drainés par cette filière qui implique le tireur lui-même, le menuisier, le constructeur, le propriétaire, les usagers, l'administration... »
On a affaire ici à un important secteur économique. « Ce mode de transport, dit encore Bekoto, convient à la ville (Antsirabe) qui est dans l'ensemble relativement plate et qui a un secteur informel dynamique composé de micro-entreprises réunissant 164 métiers différents, regroupant 4 000 employés et représentant pour "l'économie souterraine" 25 000 000 FF/an de chiffre d'affaire. »

Comment on devient tireur de pousse-pousse
Et ils continuent de tirer… Ils sont ainsi 3 317 pousse-pousse officiellement recensés pas la mairie mais on estime qu’avec la fraude, ils y aurait environ 3 500 pousse dans la ville d’Antsirabe. Depuis janvier 1999, la municipalité limite le nombre de pousse en interdisant toute nouvelle immatriculation. Car tous les pousse sont immatriculés et identifiés selon des règles très strictes. Sur le pousse doit figurer le nom (ou surnom) du propriétaire et une plaque comportant le numéro d’inscription au registre de la mairie, ce numéro comprenant 3 chiffres suivis de 2 lettres.
Un tireur doit avoir au minimum 18 ans pour pouvoir tirer mais cela ne suffit pas. Il faut encore qu’il possède une carte grise et un « permis de tirer » délivré par la mairie. Pour obtenir et conserver ce permis, il passe tous les ans une visite médicale. Ce permis a un prix que la mairie n’a pas voulu communiquer mais qui est payé par le propriétaire des pousse. Par ailleurs, tous les ans, les pousse doivent passer aux services techniques de la commune qui vérifie les suspensions, l’état des pneus et la propreté des véhicules.
A l’origine, les tireurs de pousse sont des paysans. Les colons qui avaient besoin de main d’œuvre venaient chercher des malgaches dans les champs. Aujourd’hui, les choses ont changé car ces tireurs sont d’abord des citadins et de moins en moins des paysans venant faire tireur à la ville à la saison morte dans les champs. Cette situation peut s’expliquer d’abord parce qu’un tireur gagnent plus en tirant un pousse qu’en travaillant aux champs. Mais il y a aussi le problème des paysans sans terre, ceux dont les champs ont été rachetés par de plus puissantes entreprises. Ces paysans dépossédés sont partis à la ville, en emmenant leur famille avec eux. La situation s’est développée anarchiquement, rien n’ayant été prévu pour les recevoir à Antsirabe. Ce problème est évoqué par le groupe de musique Mahaleo, qui soutient la cause des tireurs de pousse, qui ne bénéficient d’aucune sécurité.

Le pousse : une capacité de transport ahurissante
Et les tireurs continuent de tirer… Et tout le monde utilise le pousse-pousse pour se déplacer dans la ville, de jour comme de nuit, le matin tôt pour partir à l’école ou au travail, le soir pour aller en boîte ou boire un verre.
Le pousse est aussi utilisé pour transporter des marchandises avec son propriétaire en même temps bien sûr, ce qui peut donner des chargement incroyables.
Pour Claude Rakoto  « La capacité de ce moyen de transport est ahurissante. Certains pousse-pousse transportent parfois plus de 20 sacs de 75 kilogrammes, soit entre 1,5 et 2 tonnes. Le coût de transport est de 3 à 5 fois moindre par rapport aux camionnettes. Quant à la réglementation, si la législation en vigueur interdit l'accès de ce genre de voitures dans le centre urbain, la police est plus tolérante. Par humanisme. Car ces tireurs de pousse-pousse assurent leur survie dans ce travail. Le leur interdire serait leur ôter le pain de la bouche. »

Contre
Ils tirent, tirent…
Mais certains refusent d’utiliser ce mode de transport qui rappelle trop les temps avilissants de la colonisation, comme ce couple de Belges responsable de l’association Maison Internationale créée à Bruxelles en 1970 et implantée à Antsirabe. Nicolas : « En 1948, je me souviens, on a interdit en Belgique la traction par les animaux familiers. Le chien n’avait plus le droit de tirer la charrette à lait. Et j’arrive à Mada. Je vois des hommes en haillons qui tirent. Et un très petit nombre de propriétaire. (…)
Tous les Malgaches ne sont pas pour les pousse. A Betafo , la mairie a quand même interdit le pousse-pousse. Le tireur de pousse est méprisé par les Malgaches qui considèrent que c’est un sous-métier.
Les tireurs sont souvent des paysans qui viennent tirer lorsque c’est la saison morte dans leurs champs. Des tireurs de pousse peuvent cumuler jusqu’à 3 ou 4 métiers, et de plus en plus dégradants. Pousse, c’est un métier où il faut le moins réfléchir car si tu réfléchis, tu as honte de toi, toi Malgache. C’est sûr, ils vivent « correctement » même s’il faut payer la location du pousse au propriétaire. Mais c’est un abaissement moral terrible ! Ici ils sont haillons !Il y a quand même un sentiment de honte. Et de plus en plus de vieux tirent.
Avec un peu d’imagination, le pousse-pousse n’existe plus. Il faut bien sûr recaser ces gens. Et si on faisait tirer les hommes par des animaux ? J’en ai parlé à la maison Wolswagen qui m’a répondu que si on arrivait à introduire un Tilbury à Mada, elle nous offrirait le premier. On pourrait imaginer de faire un élevage de poneys, il faudrait faire le ramassage des crottes… il y a moyen de recaser les gens. On réorganise la ville en faisant des ceintures pour empêcher les camions de traverser la ville par exemple. Cette idée n’a jamais eu de suite. J’ai abandonné.
En fait, la municipalité remplace peu à peu les pousse-pousse par des minibus qui coûtent 500 FMG (50 centimes) au lieu de 1000 FMG pour un pousse. Ces minibus concurrencent ainsi directement les pousse. Mais les minibus sont la menace de demain tellement ils sont polluants.
Il y en a qui changent de métier. Un gars vient ici, Théo il s’appelle, pour apprendre à taper à la machine. C’est un ancien tireur de pousse qui s’est reconverti dans la location de vélo. »
Claude Rakoto ajoute : « Mais à les voir en besogne, c'est là qu'on se rend compte du paradoxe du concept du droit de l'homme dans un pays comme Madagascar. Car entre les bœufs de minuit et les tireurs de charrette de la ville, les premiers travaillent dans des conditions, de loin, plus humaines. »
 
 
 
 

La course de pousse-pousse 
Théo n’a pas fait la course de pousse qui a eu lieu il y a deux ans et qui a attiré des milliers de spectateurs pour quelques dizaines de participants. Les organisateurs sont les patrons du casino et de l’hôtel chinois Crown Impérial. On se rend dans ce monument à la déco farfelue : lumières clignotantes sur la façade, gros lions en stuc de chaque côté de l’escalier menant à un hall démesuré puis à un salon de thé avec tapisseries dragonesques et lampions éteints. On gravit l’escalier qui mène au casino. Des peintures sont accrochées aux murs, signées du même auteur mais d’un style très différent les unes des autres – ultra réaliste, impressionniste, naïve – et qui toutes représentent des scènes de pousse-pousse. 
La salle du casino est sombre. Le directeur nous présente un entraîneur d’athlétisme aussi juge fédéral de la course et assurant les recherches de sponsoring pour la course. « La première et unique course de pousse-pousse a eu lieu en 98. Cette année, il n’y en a pas eu et nous préparons la prochaine pour le lundi de Pâques 2000. » 
Il y a 3 catégories pour la course : la catégorie A, des hommes âgés de 20 à 30 ans, la catégorie B, plus de 30 ans et la catégorie C rassemble les femmes. Cette dernière catégorie n’ayant d’ailleurs aucune réalité, car il n’existe pas de femme tireur de pousse-pousse. 
Les participants étaient de 23 pour la catégorie A et 20 pour la B, et seulement 12 femmes ont tiré. Certains coureurs avaient la cinquantaine, l’un étant même âgé de 63 ans. 
Beaucoup de monde était au bord des rues de la ville pour regarder ces hommes tirant des pousse chargés équitablement, non pas d’homme comme pour la prochaine course de l’an 2000 mais de deux sacs de riz 50 kg pour les hommes et un sac pour les femmes. 
Les premiers prix, pour les 3 catégories, étaient un pousse-pousse d’une valeur d’environ 800 000 FMG (l’équivalent de 800 F) joliment enrubanné pour l’occasion. Les deuxièmes prix étaient un sac de riz de luxe (qualité supérieure) de 50 kg et le troisième prix une somme d’argent de 50 000 FMG (environ 50 FF). 
Si on ne connaît pas encore les sponsors de cette année, en 1998, tous les pousse participants à la course étaient vêtus pareil et arboraient une casquette Coca Cola ainsi qu’un macaron STAR (les réfrigérateurs) et à l’arrière de leur pousse, des pancartes marquées Air Madagascar et Crown Imperial. 

Pour la course de cette année, on prépare déjà le parcours de 4 km (celui de 98 s’étirait sur seulement 2 km) qui passera dans la ville. Les policiers seront là, ainsi que la Croix Rouge qui aidera les tireurs victimes de la fatigue, des élongations et autres claquages. 
Les gagnants dépasseront-ils les performances de l’année 98 ? Pour parcourir les 2 kilomètres, le temps réalisé par le gagnant était de 6’57’’. Les femmes quant à elles, ont mis pour la plus rapide 2’17’’ pour faire 700 mètres. Par la suite, certains de ces athlètes ont fait partie de l’équipe d’athlétisme de la ville.

Voir aussi un article de Bekoto sur la question (Université de la Réunion : http://www.univ-reunion.fr/) 


Maud Verdier
octobre 2000
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