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Conte
Lehilahy tena tendan-kanina
Conte*Souhaitez
la mort de votre beau-frère
Conte
** Le mariage
Conte
*** Le crocodile et le sanglier
Conte****Kabary
Conte*****Un
pêcheur devenu riche
Conte******3
contes Tanala - Koto
Conte******Sous
le signe du zébu
Conte*******Lehilahy
tena tendan-kanina
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La mère prévint le roi. Les trois frères furent reçus et introduits dans la chambre mortuaire. L'eau de Cologne fit son effet, la défunte fut ranimée au grand étonnement de toute l'assistance. Le roi et la reine dansèrent. Ils voulurent récompenser les trois frères et la petite reine décida d'épouser celui qui l'avait sauvée. Mais qui l'avait sauvée? Les avis étaient partagés. Sans le miroir de l'aîné, le décès n'aurait pas été connu; c'est donc grâce à cet aîné que la fille du roi a été sauvée prétendirent un grand nombre de conseillers. Sans la natte du puîné, qui aurait conduit les sauveurs? Demandèrent les amis du frère de dix-huit ans. C'est l'eau de Cologne qui a ranimé la reine, soutinrent les partisans du "miracle final". Le roi ne sut plus que décider. Sept fois le conseil se réunit à huit clos.
Le vieillard interrompit son récit.
- Ah! continuez grand-père, continuez je vous en prie, j'insistais.
- Oh! répondit le vieillard, moi je ne fis pas partie du conseil.
Les délibérations ont duré longtemps, plus de trois
ans. Je sus par la suite que le roi maria sa fille à un jeune planteur
du village voisin, lequel, semblait-il, apportait un tubercule de manioc.
Ce tubercule rentrait dans la catégorie des "choses" que ne possédait
pas le roi.
- Et qu'étaient devenus les trois frère? interrompis-je
impatienté.
- Le roi les a adoptés, reprit le vieillard. Ils devinrent ainsi
les frères de la fille, se partagèrent les biens de la couronne.
En étaient-ils heureux? Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'ils
devinrent jaloux de leur beau-frère, car ils ne pouvaient épouser
la nouvelle reine. Ils gardaient dans leur cœur contrit cette rage éternelle
et ils souhaitaient la mort de leur beau-frère…
- Ah! je comprends maintenant, je comprends…
Le vieillard interrompit son récit, cligna de l'œil, me regarda
fixement. Il reprit son bâton et, avant de me quitter, il tapa dans
mes mains et me dit: "sache, jeune homme, que le miracle n'est pas dans
l'aventure, il est dans le tubercule de manioc." Il ajouta: "as-tu ton
champ?" - Non - "Non? Eh bien! tu auras beau injurier ton beau-frère,
tu ne seras jamais l'époux de la reine."
Sur ce, il partit.
Pensif, je rejoignis mon village. Je plantais un hectare, deux hectares,
trois hectares. Je transportais mes tubercules par charrette, par camion.
J'achetais une maison, deux maisons. On dit que j'étais riche, que
j'étais heureux. Je pris une petite reine, une reine de mon cœur
et je disais toujours: "qu'ils périssent
mes beaux-frères!note".
(1) Allez-y:
à
traduire dans le sens de "Indao ary é".
(2)Il
y avait des colons dans cette île: il s'agit certainement de
l'île de Nosy Be alors même que ce long parcours de trois mois
sur mer laisserait croire à l'archipel des Comores.
(3) Fandraramontsona:
c'est moins une marque de reconnaissance qu'un moyen d'apaisement ou de
prévention de la colère. Après une absence non motivée
du mari, celui-ci apporte quelques cadeaux à l'intention de sa femme
(linge, eau de Cologne, chaussures, etc.) afin de se concilier ses faveurs.
On sait que l'absence suspecte de l'époux détermine le bouderie
de la femme, qui allonge ses lèvres en signe d'un profond mécontentement.
Le mari doit prévenir ce fâcheux comportement par un fandraramontsona
qui empêchera les lèvres de s'allonger.
Je reconnais que l'erreur du conteur est grave, mais j'ai reproduit
fidèlement ce qui a été dit.
(4)
750 francs chacun: on fait certainement allusion ici à 25 journées
de travail à 30 francs. Les prix uniques rappellent probablement
l'uniformité du taux de salaire, sans distinguer la force des bras
des travailleurs. Il n'était pas question du degré d'instruction
car tout le monde était illettré.
(5)
Plus que 100 000 francs: on comprend très bien que la scène
ne s'était pas passée dans l'Androna, car l'unité
monétaire aurait été en bœufs.
(6)Arabe:
encore
un fait qui prouve que l'histoire ne s'est pas passée dans l'Androna,
car il aurait été question de Chinois ou de Hova. Il n'y
a jamais eu de commerçants arabes dans l'Androna.
(7)
Satrana: les nattes sont en feuilles de lataniers, ce qui montre que
la scène s'est bien déroulée en pays Sakhalava.
(8) Qu'ils
périssent mes beaux-frères: d'une façon générale,
les Malgaches n'aiment pas le jeune homme instruit ou le riche qui veut
rejeter la coutume des ancêtres.
Depuis ce temps, les Tsimihety admettent difficilement les mariages
de leurs enfants avec des étrangers.
note: sa tête serait
mise dans une soubique et transportée à Farafangana: les
Betsiberaka sont fort exigeants pour le retour des cendres. Toutefois,
il n'est jamais dans leurs intentions de provoquer la mort d'un individu
indiscipliné. D'autre part, la coutume prévoit le transfert
de tous les restes mortels qu'on pourrait retrouver, donc le transfert
des os de la tête alors que les autres ossements restent ailleurs
ne se justifierait jamais devant les ancêtres.
Voilà ce qui arriva, et voilà ce qui devait arriver, chantèrent
les oiseaux.
Fuyons, leurs cadavres feront encore du mal, clama le caméléon
apeuré.
note les deux géants: les Tsimihety croient que les crocodiles et les sangliers sont les êtres les plus puissants du monde. Cela se comprend car à Madagascar, nous n'avons ni lion, ni éléphant, ni panthère. D'autre part, les requins ne sont connus que que par les habitants qui sont au bord de la mer. Quant aux tsingala et aux foko, ils sont trop petits pour être pris en considération. Il en est de même du fanivilona et du halavato. Le varatra est un être d'essence spéciale, mal définie, se rapprochant beaucoup de la divinité.
****KabaryLa séparation est devenue éternelle et la mort continue à frapper les hommes.
Un patriarche Tsimihety eut en songe ces recommandations:
"Tâche de pouvoir interpréter le sens du cri des droviky
et tes hommes seront sauvés."
En attendant l'heure de la délivrance, ménageons les
drovoky car Kabary hante leur esprit.
Quant à vous vénérables Hova de Tananarive, n'oubliez
jamais ces mots d'espérance "kabary, tompoko" toutes les fois que
quelqu'un entre chez vous.
note Zanahary
Ambony: cela veut dire "Dieu d'en haut". Les Tsimitehy sont polythéistes.
Le Zanahary Antany régnerait sur la terre et le Zanahary
Ambony régnerait au ciel.
Notre pêcheur eut donc une destinée faite de bonheur: riche
en argent, capable de connaître les paroles de toutes les créations
de Dieu et d'être en compagnie d'une femme de son goût.
Koto-le-tireur
Parti chasser les oiseaux, un roi s'enfonce dans la forêt. Sur
une pierre plate au milieu d'une clairière, il aperçoit deux
femmes assises qui chantent: des esprits de la forêt. Il capture
la cadette, Rasorova (belle dame oiselle horova). Elle devient sa femme
après qu'il eut promis de ne jamais rappeler son origine.
Rasorova accouche d'un garçon. Comme l'enfant pleure, elle prétend
ne pas savoir le bercer. Mais lorsque les gens du village sont partis aux
champs elle chante une étrange berceuse qui évoque son origine
"animale" (biby - qui peut désigner animal, bête-génie
ou esprit de la nature). Restée dans la maison, la mère du
roi entend le chant et prévient son fils. Rasorova abandonne alors
l'enfant entre les bras de son père, elle revêt de vieilles
nattes et s'enfuit, remontant un cours d'eau dans la forêt. Le bébé
dans les bras, Koto la poursuit. Rasorova arrive dans la grotte où
habitent sa mère et ses soeurs, bientôt suivie par Koto. Elles
lui arrachent l'enfant et se le lancent, chantant et dansant. La mère
de Rasorova enjoint à sa fille de retourner avec son enfant et son
époux dans le monde des humains auquel elle appartient désormais.
"Mais si l'enfant tombe malade, dit-elle, appelle-nous, nous le soignerons
[par des plantes]."
Koto-le-pêcheur
Un pauvre pêcheur, Koto, est la risée du village. Un jour,
il attrappe dans un trou d'eau profonde (antara) une princesse des eaux
(andriambavirano). Elle accepte de l'épouser s'il respecte l'interdit
du rhum, et s'il ne l'appelle pas "fille du sel". Durant la nuit, la hutte
du pêcheur se transforme en une belle maison. Avec l'ondine, zébus
et richesses contenues dans des caisses sortent de l'eau. Koto devient
l'homme le plus riche du village.
L'ondine met au monde trois enfants, un garçon et deux filles.
A l'occasion d'une circoncision, le roi du village, jaloux, fait boire
de force le héros. Ivre, il révèle l'origine de son
épouse. L'ondine regagne le monde des eaux. A l'issue d'une épreuve
imposée aux enfants (dévorer des bananes sous l'eau), les
filles suivent leur mère; le garçon, qui n'a pu terminer
les bananes, demeure avec son père sur la terre. Ce dernier redevient
pêcheur et pauvre.
Ce soir-là les deux garçons témoignaient d'une
solennité qui ne leur était point coutumière : ils
savaient qu'un rite étrange, puissant, allait les unis, faire de
leurs deux êtres, deux frères, deux frères de sang.
Le vieillard souffla sur un tas de braises rougeoyantes, y jeta des
brindilles de bois noir qui flambèrent , crépitèrent,
firent, dans la forêt, vaciller les ombres des arbres.
Le ronronnement de la mer toute proche parvenait jusqu'au village en
un murmure discret. Déjà, en l'honneur de Volana et Lelahy,
les membres de leurs deux clans commençaient de sceller leur alliance
en se passant et repassant dans de vieilles boîtes de lait concentré,
le rhum qu'ils avaient apporté de la ville.
Du fond du village monta un bref beuglement. On venait d'abattre un
zébu pour le découper en d'énormes quartiers. Au même
instant, brandissant d'une main tremblante un long couteau pointu, le villard
vers qui tous les regards étaient tendus, fit une en aille dans
la poitrine de Volana; un liquide épais, presque noir, perla. Saisi
à la nuque par le sorcier, Lelahy inclina la tête et ses lèvres
aspirèrent le sang de son ami béat. Le vieillard les sépara.
Tranquillement alors, il incisa le sein de Lelahy, collant la bouche de
Volana sur la coupure fraîche. Et Volana but avidement le breuvage
pourpre que lui offrait la chair meurtrie.
La scène n'avait duré que quelques minutes dans un silence
momentané durant lequel les grillons eux-mêmes semblaient
avoir fait trêve. Pressant tour à tour les blessures des deux
jeunes gens dans une vieille boîte de lait qui sentait encore le
rhum et contenait une eau jaunâtre où surnageaient des feuilles
putrescentes et de minuscules racines odorantes, l'homme fit alors couler
un peu des deux sangs. Puis il plongea sa main "sacrée" dans le
mélange, le brassa en marmonnant des paroles inintelligibles, le
divisa en deux parts égales. Au moment où Volana et Lelahy
commencèrent à boire lentement leurs sangs mêlés,
les femmes entonnèrent une complante monotone tandis que les hommes
se prirent à imiter le cri des makis. Des feux s'allumèrent,
les marmites de fonte furent emplies de viande et, en attendant la cuisson,
les deux jeunes gens devenus frères de sang, allaient de l'un à
l'autre, buvant avec chacun, émus et fiers de leur nouvelle parenté.
Ralisa eut le droit de danser seule autour du feu du rite, puis des
deux jeunes hommes. Bientôt les battements de mains qui rythmaient
sa danse s'accélérèrent, tournèrent à
la frénésie. Le grondement des tambours tendus de peaux de
veaux couvrit toutes les rumeurs. Une à une, les jeunes filles entrèrent
dans la chanse qui devint saccadée, expressive. Le regard luisant,
les hommes se levèrent, saisissant leurs sagaies, entourant les
femmes en une ronde hurlante.
Le sorcier s'énivrait lentement, les lèvres collées
à sa boîte demi-pleine. Lelahy, Volana se tortillaient, gesticulaient
plus que les autres et le tumulte ne prit fin qu'avec la dernière
dame-jeanne vidée, la dernière marmite raclée, le
dernier feu éteint.
Lorsque le soleil émergea des cactus aux fleurs jaunes, les
nattes déroulées sur le sable semblaient jonchées
de cadavres.
*
* *
En rentrant au crépuscule du champ de manioc qu'à l'aide
de leurs légères angady (1) ils avaient désherbé,
Volana et Lelahy, comme bien d'autres, furent interpellés par le
chef de village.
____________
(1)- Angady : bêche.
De sa main rugueuse, le vieil homme brandissait des imprimés
que le vent froissait sans vergogne.
C'étaient des convocations pour le conseil de révision
qui allait avoir lieu dans le district voicin. Les deux frères de
sang étaient d'âge à s'y présenter. Ils plièrent
le bout de papier qui leur fut remis et s'en allèrent vers la case
de Ralisa qui avait préparé ce soir là un gros morceau
de sanglier. Tous deux causèrent comme de grands enfants, insouciants
du lendemain; puisqu'il ne faisait aucun doute qu'ils reviendraient, ils
n'avaient nul motif de s'attrister. Bientôt leurs regards devinrent
trop brillants et Ralisa s'avisa que ces regards la devêtaient avidement
sous son lamba coloré de fleurs rouges. Ses longs cils voilèrent
les lueurs troubles de ses yeux.
A l'aube, Volana et Lelahy partirent avec un salaka neuf, un peu de
riz, de la viande séchée et leur hachette.
"Bonne chance et revenez vite !"
Ralisa agitait sa main fine et dure; ils se retournèrent, lui
rendant son salut de leurs chapeaux tressés en cônes, puis
disparurent entre les tamariniers et les sakoas, derrière une colline,
sur la piste sablonneuse qui a tendait leurs pas de bons marcheurs. Lorsqu'ils
débouchèrent sur la place du chef-lieu du district, une foule
bruyante y grouillait comme en un jour de foire. Le tirage touchait à
sa fin. Les filles de la ville restaient terrées dans leurs cases,
tant on voyait de jeunes mâles trop ardents déambuler dans
les ruelles.
Volana et Lelahy ne connurent point le même sort devant la boîte
aux hasards. Lelahy pouvait rejoindre aussitôt son village; Volana
devait revêtir l'uniforme dès qu'il serait convoqué.
Ce soir-là les boutiquiers chinois et les tenanciers des petits
hôtels malgaches furent tout surpris d'avoir autre chose à
vendre que leur éternel café, et sur leurs nattes glissantes,
les quelques filles que rien n'effarouchait, eurent du succès toute
la nuit.
Les deux amis étaient déjà repartis vers leur
village, songeant à Ralisa qui devait les attendre. Quand ils arrivèrent,
luisants de sueur, tout le monde faisait la sieste sous le grand kily ou
dans les paillotes ouvertes.
Ils se dirigèrent aussitôt vers la case de la jeune fille
où ils la découvrirent dévêtue, son lamba roulé
sur le ventre, ses petits seins gonflés comme deux mangues naissantes.
Elle aussi faisait la sieste, bien à l'aide en sa gracieuse nudité.
Ils n'osèrent l'éveiller et allèrent se préparer
une marmite de manioc, n'ayant mangé depuis la veille que quelques
fruits acides de sakoas cueillis au bord des chemins.
Volana, sur les conseils de sa famille, s'engagea dans la garde indigène.
On eût pu croire que Lelahy, qui pendant ce temps passait ses journées
en pirogue, pêchant des méduses, de jeunes requins et parfois
rien que des mousses, en profiterait pour prendre quelques avantages sur
son frère auprès de Ralisa. Il n'en fut rien; au cours des
palabres que présidait le vieux chef de village, devant des boîtes
pleine de toaka gasy (1) fraîchement distillé, salutaire aux
plus loquaces, il fut décidé que Ralisa attendrait le retour
de Volana pour désigner celui des deux frères qu'elle prendrait
pour époux.
____________________
(1)- Toaka gasy : rhum clandestin
Lelahy s'engagea, durant cette époque, à aller travailler
au loin, soit dans la forêt, soit sur des concessions. Bref, que
chacun gagnât sa vie pendant quelque temps. Cette décision
fut cruelle à Ralisa. D'être éloignée de ses
deux amis à la fois, même provisoirement, la laissa désemparée.
Après leur départ elle pleura longuement; puis elle reprit
son labeur quotidien, pila le riz sans ardeur, indifférente, alla
chercher de l'eau à la rivière. Elle se baignait dans l'onde
claire, y frottant doucement son corps ferme, beau fruit sombre qui devait
attendre. Auparavant, elle ne songeait point à faire son choix entre
ses deux amis, tant elle était accoutumée à ne pas
les séparer dans son affection. Ce qu'aujourd'hui elle comprenait
enfin, c'est que tous trois avaient atteint l'âge de vivre à
deux.
*
* *
Volana apprenait le maniement du fusil et avait souvent la nostalgie
de son village. Sa garnison était lointaine.
Lelahy, lui, ne put mieux faire que de suivre quelques-uns de ses aînés
qui disparaissaient durant des mois entiers. Il mena la vie captivante
des voleurs de bœufs, avec ses risques, ses joies, les folles cavalcades
que provoquaient les poursuites.
Volana désirait se faire un joli pécule avec sa solde
de militaire, puis rentrer au village.
Lelahy ne ménageait pas ses efforts pour "se monter" un troupeau
conséquent, "légalisé" à la faveur des obscurs
méandres de l'administration locale. Ce sereait alors le glorieux
retour au village avec une fortune dont nul ne se hasarderait à
soupçonner l'origine.
Et Ralisa n'aurait plus qu'à dire oui à l'un ou l'autre.
Quoi de plus honorable que d'être la femme d'un ex-garde ! Quoi de
plus exaltant que d'avoir pour époux un ancien voleur de bœufs !
Décidément, Ralisa n'aurait pas le choix facile.
Un vieux marchand de bœufs venant des plateaux s'arrêta un soir
au village. C'était un gaillard encore solide habitué à
parcourir la brousse en tous sens. Il s'installa dans la case de passage
tandis que ses bouviers, accomplissant les corvées quotidiennes,
puisaient de l'eau, ramassaient du bois, hachaient des racines de manioc
dans une marmite de fonte, déroulaient des rubans de viande séchée.
Le Chef du village, à qui il voulait acheter quelques têtes
de bétail ne put lui en proposer aucune, une longue sécheresse
ayant décimé ses troupeaux. Déçu et ayant à
couvrir une longue étape avant de rejoindre le prochain quartier,
le marchand décida de coucher sur place. Pour ce, selon l'habitude
de la région et la sienne propre, il demanda au vieux chef de lui
donner une femme pour la nuit.
En cet instant Ralisa pasait devant eux, une calebasse sur la tête
et, en cette pose, la finesse de son galbe, le charme de son port n'en
étaient que plus apparents.
"La belle fille, s'exclama le marchand, je ne souhaiterais rien de
plus !"
Le vieux Chef de village sourit. "Demande-le lui pour voir".
Se piquant au jeu, le marchand héla Ralisa : "Eh, mignonne !
viens donc me voir ce soir dans ma case".
Rieuse, se détournant à peine, la jeune fille répondait
sur le même ton: "S'il n'en était déjà deux
à mes trousses, peut-être regarderais-je le troisième".
Le marchand se fit expliquer la répartie par le vieux notable.
Alors, il parut triste, enclin aux confidences :
"Voilà à peine trois mois que j'ai perdu mon épouse.
Elle n'était guère plus âgée que cette jolie
fille et elle m'a laissé un enfant. Il me faudrait une autre femme,
une vraie, aussi gentille que celle que j'ai perdue".
Comme s'il se fut parlé à lui-même, le Chef du
village ajouta : "Si elle n'avait eu le cœur deux fois pris, celle qui
vient de passer là aurait bien fait ton affaire".
Volana effectuait ses premières sorties, qui consistaient à
faire la chasse aux voleurs de bœufs. Une forte patrouille fut désignée
pour ratisser un vaste secteur, particulièrement exploité
par les malfaiteurs. Ceux-ci bénéficiaient de la saison pluvieuse,
les traces de leurs passages, le piétinement des zébus, s'effaçant
avec les ondées quotidiennes. La tâche du poursuivant était
fort ardue. Par cent, deux cents, trois cents têtes, les bœufs disparaissaient
des riches pâturages. De grosses primes échauffaient le zèle
des gardes, pressés de prendre enfin contact avec la puissante bande
qui, se jouant d'eux, réussissait des vols de plus en plus audacieux.
Les rivières étaient en crue, des torrents de limon fuyaient
vers la mer; la forêt, souvent épineuse et devenue marécage,
ne gardait plus la trace d'aucun sentier; des groupes joyeux de perroquets
gris saluaient les gardes de leurs cris moqueurs, en un bruyant concert,
les makis suivaient, sautant follement d'arbre en arbre, faisant tomber
de petites averses de ramures gorgées d'eau, sur le dos des malheureux
chasseurs d'hommes, éternellement trempés.
Enfin parurent des indices : de la bouse fraîche ça et
là. La colonne avait-elle rencontré une piste sérieuse
? On continua; les fusils étaient insupportables aux épaules
ou aux mains, parmi les buissons bas, épineux, les trous spongieux
d'où l'on ressortait avec de la boue jusqu'au ventre. Bientôt,
des piétinements très apparents cette fois, donnèrent
un regain d'ardeur à tous ces hommes épuisés par plusieurs
semaines de vaines poursuites dans une brousse hostile.
Brume ou lointaine fumée ? Tout le monde stoppa. C'était
bien un filet de fumée bleuâtre qui montait là-bas
au-dessus des arbres et, pour confirmer les espoirs, c'étaient aussi
de longs beuglements, a sourdis par la distance, qui parvenaient aux oreilles
des poursuivants. Tous s'égaillèrent en un vaste demi-cercle
avec la consigne de tirer sur le premier voleur qu'ils rencontreraient
sans sommation.
La bande était lasse; elle était, cette fois, sérieusement
pourchassée depuis plusieurs jours et il était impossible
de faire progresser rapidement les zébus dans une vaste forêt
de cactus et de jujubiers. Atteindre la rivière en crue devait être
le salut; chacun, en s'agrippant à la queue d'un bœuf, gagnerait
facilement la berge opposée, alors que les gardes empêtrés
de leurs armes risqueraient en franchissant le cours d'eau d'être
emportés par la violence du courant. Les voleurs s'étaient
arrêtés dans une étroite clairière envahie de
hautes herbes, regroupant leur bétail, le laissant souffler car
ils allaient avoir besoin de la force des bêtes pour traverser la
rivière. Le bruit sourd des eaux que maintenant ils percevaient
distinctement leur rendait tout leur courage.
Un coup de feu claqua. L'homme posté à la garde des zébus
s'écroula sous la génisse à laquelle il était
adossé. Tous saisirent leurs sagaies, se précipitant vers
les arbres les plus proches. Ils ne fuyaient pas, ce que crurent les gardes
se lançant à leurs trousses. De derrière les baobabs
ventrus, les sagaies sifflèrent, se glissant entre les omoplates
des premiers assaillants. Puis les balles crépitèrent, fracassant
des branches, culbutant les plus mal abrités.
Et ce fut la mêlée, où il n'y eut plus de camps
adverses; les coups de feu partant de tous côtés, semant la
mort au hasard. Mais bientôt les sagaies se firent rares et il n'y
en avait point de rechange. La fuite devint pressante pour les voleurs
s'ils ne voulaient être à merci. Courant, s'arrachant des
lambeaux de chair aux points aiguës des cactus, Lelahy trébucha
contre ce qu'il crut être un tronc mort. Se relevant, il fut saisi
d'horreur : Volana gisait au pied d'un jujubier, une sagaie dans le dos.
Non ! c'était une hallucination, un cauchemar. Comment Volana
se serait-il trouvé là ? Lelahy ne savait pas que des détachements
de gardes pouvaient être appelés de fort loin pour participer
à de telles opérations. Gémissant, il s'agenouilla
auprès de son frère. De lourdes larmes, lourdes comme celles
du ciel en un jour d'orage, coulèrent sur la boue qui tachait son
visage.
Les yeux de Volana avaient encore une lueur de vie. Lelahy tentat de
retirer doucement la sagaie de la plaie du moribond. Des gardes surgirent.
Furieux, n'ayant pu se saisir d'aucun voleur, ils prirent Lelahy en flagrant
délit de meurtre, sagaie à la main.
Volana, péniblement, tendit les bras vers son frère.
Il voulut parler; un flot de sang jaillit de sa bouche et ses lèvres
demeurèrent entrouvertes pour l'éternité.
Les conjonctures désignaient Lelahy comme le meurtrier et le
fait même qu'il ait été surpris une main sur la sagaie,
en un geste suprême de fraternité, constituerait une charge
de plus pour l'accusation.
Hébété, le jeune homme hurla : "Je te vengerai,
mon frère !" Paroles incompréhensibles pour les gardes, qui,
rudement, le malmenèrent.
Littéralement assommé, il eut les mains liées
derrière le dos, les pied attachés avec une corde de raphia
qui lui laissait tout juste la possibilité de marcher.
Revenu à lui, le jeune homme écumait. Pourquoi Volana
se trouvait-il dans cette patrouille ? Lequel des voleurs l'avait sagayé
? Il le sagayerait à son tour; il l'avait promis à son frère
de sang. Promesse sacrée.
Il ne songeait nullement à son état actuel de prisonnier,
de meurtrier. Les gardes étaient hargneux : trois morts et quatre
blessés chez eux, cinq morts chez les voleurs, un seul prisonnier,
et comme butin un troupeau mal en point qui les embarrassait. Toutes les
rancœurs retombaient sur Lelahy. Il fut constamment brutalisé et
eût sans nul doute été égorgé, s'il n'eût
fallu le livrer à la justice moins sommaire du Fanjakana.
Bientôt on atteignit la rivière. Deux gardes qui avaient
été envoyés en reconnaissance, revinrent avec plusieurs
pirogues destinées à évacuer rapidement les cadavres
des gardes tués. La plus grande partie de la patrouille reprit,
avec le troupeau, le chemin de la forêt.
Les pirogues ne pouvaient être surchargées. Allait-on
libérer partiellement Lelahy ? Ligoté, il serait aussi encombrant
qu'un des cadavres. Riant et gesticulant, les gardes prirent un troisième
parti. Ils attachèrent une souple liane au cou du prisonnier, le
jetèrent à l'eau, pieds et mains liés, et le remorquèrent
ainsi, la tête émergeant seule de la rivière bourbeuse.
Le piroguier, debout, aidé par le courant, poussait rapidement
sa nacelle, quand, soudain, un choc violent faillit le renverser et faire
chavirer la frêle embarcation. La liane qui retenait Lelahy venait
de se rompre. Le piroguier n'eut que le temps d'entrevoir une queue puissance
battant la surface de l'eau pour se fondre tout aussitôt en une longue
traînée de bulles mousseuses.
*
**
Revenu au village, le corps de Volana fut lavé, enroulé
dans un vaste lamba blanc, déposé sur une civière
rudimentaire en palissandre. Devant la case des parents on dressa, en les
joignant par un toit fait de légers branchages, deux palissadres
en feuilles de raphia et de bananier.
De dessus les lattes, sous le toit des cases, on extirpa les plus grosses
marmites et le Chef du village fit une large distribution de riz blanc.
Près des feux qui s'allumaient et crépitaient en une indécente
gaîté, deux charrettes déchargèrent leur manioc
séché. Un énorme bœuf à la bosse bien grasse
et plusieurs chèvres furent prestement immolés et dépecés.
Muettes, sans mouvement, les femmes et les jeunes filles restaient
assises sur leurs talons autour de la civière; les hommes s'affairaient,
découpant avec adresse les viandes chaudes. Sous les marmites pleines,
les vieilles ne cessaient d'empiler les brindilles de bois.
Puis vint une file de porteurs de dames-jeannes remplies de vin et
de rhum.
Quand le soleil eût caressé le village de ses premiers
rayons, on but d'abord le "toaka gasy" des cannes fermentées et
le lait aigrelet des raphias. Les chants, sur une nose gaie, montèrent
autour du mort, puis, subitement, la civière fut saisie par quatre
femmes suivies de toutes les autres, criant et battant des mains. Elles
commencèrent par faire le tour du village, se relayant au portage
du défunt. Les hommes se tenaient derrière les porteuses
leur tendant des boîtes pleines de rhum qu'elles buvaient d'un seul
trait, et plus elles buvaient, plus elles criaiet, tressautaient, faisant
dangereusement osciller le cadavre au-dessus de leurs têtes. Celles
qui ne portaient pas se roulaient dans le sable et se relevaient avec agilité,
tournant sans arrêt autour de chaque case.
Adieu du mort à tout le village avant son grand départ.
Suantes, haletantes, les femmes poursuivaient leur ronde macabre, ne cherchant
point à harmoniser leurs voix discordantes, ressassant inlassablement
la même complainte aiguë.
Les plus faibles battaient encore des mains, à l'instant où
elles roulaient à terre de fatigue et d'ivresse. Quand il ne resta
plus que quelques porteuses harassées, le mort fut reconduit devant
sa case. Les hommes prirent leurs légers tambours tendus de peaux
fraîches, et, interminables, obsédants, le même refrain,
la même cadence assourdirent le village. Plusieurs récipients,
vides d'alcool, gisaient, dédaignés; des viandes, il ne restait
plus que les os; les charretes de manioc s'étaient évanouies.
La nuit venait, solennelle, comme si elle eut porté seule, le deuil
de Volana. Les femmes, apaisées, repues, firent cercle à
nouveau autour du brancard et tandis qu'un unique tam-tam résonnait
encore, elles se prirent à gémir, pleurer, grimaçantes,
les cheveux en désordre.
Les hommes achevaient le vin et le rhum, s'essayant à demeurer
debout en dépit de l'alcool qui rétrécissait leurs
yeux clignotants. Un seul feu éclairait encore l'assemblée,
faisant miroiter les sagaies fichées dans le sable, les gros coliers
de perles multicolores qui pendaient au cou des jeunes filles, les bracelets
d'argent cliquetant à leurs poignets.
De temps à autre, les vieilles, boules chiffonnées tassées
dans les coins d'ombre, ricanaient, imitant les cris des chiens fous, ce
qui incitait les autres femmes à accélérer la cadence
de leurs lugubres plaintes.
Un coq chanta; les femmes s'écartèrent, les hommes hissèrent
la civière sur leurs épaules nues. En un silence absolu,
dans la nuit encore épaisse, tout le village s'achemina derrière
le cadavre et, par un sentier sinueux, déboucha de la forêt
d'épines sur la mer sereine. Parvenus en un lieu où, face
à l'ocan, au bout de perches grossièrement équarries,
des cornes de zébus pointaient vers le ciel leurs fines arêtes,
le corps fut descendu au fond d'un trou creusé dans le sable blanc.
On fixa au poteau mortuaire une paire de cornes nouvelles puis de grosses
pierres furent amoncelées sur la tombe, lentement recouverte.
Les enfants s'endormirent sur la place. Presque seuls, les parents
demeurèrent près du tas de cailloux. Les autres reprirent
le chemin du village. Quand le soleil eût balayé les dernières
ombres de la nuit, le vent qui se levait avec lui eut tôt fait de
chasser des abords de la tombe, ceux qui songeaient encore à s'y
attarder.
*
**
On s'était fort étonné de l'asbsence de Lelahy
aux funérailles de Volana et nul n'avait su où atteindre
le jeune homme pour l'aviser du trépas de son frère.
Ralisa avait longuement pleuré la mort de son mari. Maintenant,
et bien qu'elle n'eût osé se l'avouer, une secrète
bouffée de bonheur lui montait au cœur. Volana eût été
certes pour elle, le meilleur époux, mais aujourd'hui elle n'avait
plus à choisir. Quand Lelahy reviendrait de la forêt, sa vie
inquiète de jeune fille se changerait enfin en celle d'une femme
épanouie. Et chaque fois que les chiens aboyaient à l'entrée
du village, elle épiait anxieuse, l'arrivée du nouveau venu
: toujours un passant, jamais Lelahy.
Une nuit, tandis que les éclairs lacéraient les nuages,
que zigzaguaient d'insupportables moustiques, qu'une chaleur étouffante
étreignait hommes et bêtes, Ralisa était allongée
sur sa natte, entièrement nue, attendant la caresse d'une brise,
regardant venir du ciel les premières gouttes bienfaisantes.
Soudain elle vit une ombre se dessiner devant sa case. Poussant un
cri, elle mit ses mains sur sa poitrine, se recroquevilla dans un coin,
prête à appeler du secours.
"Ralisa, je suis un ami de Lelahy".
Elle oublia qu'elle était nue, se précipita vers l'inconnu,
le fit entrer de force.
"Où est Lelahy ? Pourquoi ne vient-il pas ?"
"Si tu l'aimes, va à la rivière, là-bas, vers
l'ouest et pleure, Ralisa; la rivière n'a point voulu qu'il vînt
te retrouver".
Elle éclata en sanglos. Quand elle sortit la tête de ses
mains, l'homme avait disparu.
Ce ne fut que beaucoup plus tard qu'on sue la triste fin de Lelahy.
Ralisa était inconsolable. Elle devint une fille seule, puis, "la
fille qui n'est pas mariée", la fille sans homme, celle qui s'étiole
sans rémission.
*
* *
Au soir d'un long jour, le vieux et solide marchand de bœufs qui était
passé par le village, il y avait plus de deux ans, y vint une seconde
fois. Entre deux âpres discussions sur le prix du bétail qu'il
désirait acheter, il eut tôt fait d'apprendre la mort des
frères de sang, la détresse de Ralisa.
Le lendemain, par un curieux hasard, alors qu'il se trouvait en compagnie
du chef de village, Ralisa vers la même heure qu'à son premier
séjour, passa devant eux, une calebasse sur la tête. Elle
fit un signe amical à son vieux parent et s'éloigna sans
s'attarder davantage.
Le marchand l'avait contemplée, interdit, devinant que le visage
aminci de la jeune fille trahissait sa souffrance intérieure. Et
le vieux chef, lui, avait regardé son compagnon fixement.
Comme se parlant à lui-même, il dit tout haut :
"Maintenant, pourquoi pas ?"
Les deux hommes s'étaient compris. Le marchand ne s'était
point décidé à se remarier. Avait-il eu comme un pressentiment
de ce qui se passerait un jour dans le village de Ralisa ? Comme il n'ignorait
point la parenté existant entre la jeune fille et le Chef du village,
il pria celui-ci de bien vouloir faire pour lui la première démarche.
Dans la matinée du lendemain tous trois se trouvèrent
réunis dans la case du vieux chef.
D'une voix douce, sans recourir à aucun préambule, le
marchand déclara :
"Je ne suis pas de ton pays Ralisa, mais nous sommes tous deux de la
Grande Ile. Viens là-bas, jusqu'en ma demeure. Peut-être t'y
plairas-tu, peut-être ne feras-tu qu'y passer. Moi, jusqu'au dernier
lever du soleil qui ouvrira mes paupières, je souhaiterai t'y contempler
sur ma couche".
Regardant le chef du vilage qui taillait une baguette de bambou pour
se donner une contenance, la jeune fille répondit : "Puisque le
chef l'a conseillé, je te suivrai; si je puis refaire ton bonheur,
mon cœur doit aussi savoir se rouvrir, comme la fleur du manguier quand
revient le printemps".
Le vieux chef acquiesça.
Deux jours plus tard Ralisa faisait ses adieux au village et, tandis
qu'il la regardait partir, son vieux parent qui était aussi son
second père, se demanda pourquoi ses yeux, tout à coup, se
brouillaient : "Bah ! j'irai voir le sorcier, il y trouvera bien un remède...".
Le marchand avait rassemblé un important troupeau que ses bouviers
poussaient devant eux, au long des chemins, Ralisa suivait, tantôt
à pied tantôt dans une petite charrette fraîchement
repeinte, ornée de leurs et d'étoiles aux couleurs éclatantes.
Quand il ne surveillait pas ses bouviers, le marchand cheminait à
ses côtés, lui offrant le bras quand il la devinait fatiguée
ou montant dans la charrette auprès d'elle.
Le soir, après qu'on eût laissé cuire et prendre
au fond des marmites le riz qu'on avalait sans hâte, une grande bâche
était étendue sur la charrette, la recouvrant comme une tente.
Ralisa couchait sur des nattes dans ce gîte improvisé. Le
marchand venait l'y retrouver, gardait longtemps sa main dans la sienne,
la aisait, puis, sagement se retirait.
Qu'attendait-il pour consommer leur union ? La présence de ses
bouviers, la promiscuité qu'elle engendrait étaient-elles
pour lui autant de contraintes ? Bientôt Ralisa lui sut gré
de la délicatesse dont témoignait une telle retenue, car
elle perçut que ce serait seulement à leur arrivée
à Tananarive, lors du premier lever de soleil qui éclairerait
leur chambre, qu'il lui donnerait, sur les lèvres, son premier baiser,
qu'il retrouverait pleinement avec elle le chemin d'un bonheur évanoui.
Ayant gravi les contreforts des hauts-plateaux, hommes et bêtes
pénétraient maintenant dans les vastes plaines bosselées.
A mesure qu'ils approchaient de Tananarive, il leur fallait emprunter
des voies plus passagères, parfois même des routes goudronnées.
Alors, en un bruit assourdissant de klaxons rageurs, les files de voitures
tentaient de s'infiltrer dans la masse compacte des zébus. Ralisa
s'amusait à ce spetacle qu'elle n'eût jamais imaginé.
Lorsque, au faîte de la capitale Hova, le Palais de la Reine
apparut pour la première fois à ses yeux étonnés,
elle était désormais acquise à son nouveau destin,
sachant que, seuls, les dieux obscurs de ses ancêtres l'avaient ainsi
fixé.